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L'ART SHIPIBO ET SES MOTIFS

Les dessins ou kene, un lien fort avec la nature et la spiritualité des Shipibo

Dans la mythologie Shipibo, on raconte que les ancêtres s’enduisaient le corps de teinture de Huito (Genipa americana) de couleur noire, connu pour être un excellent répulsif contre les moustiques. Un jour, un jeune homme aperçut sur la rive, une jeune fille inka inconnue, d’une rare beauté. Aussitôt, il traversa le fleuve et les sables brûlants sur lesquels il avait mis des troncs d’arbre, et il enleva la jeune fille qui hélas était déjà morte. À son retour au village, tous, et même les villageois venus des autres communautés, furent émerveillés de la beauté des dessins qui ornaient son corps. Depuis ce jour, chaque ethnie apprit un dessin qui lui est devenu propre.

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L’art des dessins, appelés Kene, est un élément fondamental de la culture des Shipibo. Il traduit leur symbolique, leur esthétique, leur tradition et leurs racines. Selon la pensée des Shipibo, les dessins sont la matérialisation de l’énergie ou force positive appelée Koshi que l’on trouve dans les plantes dites Rao.
Ces « rao » sont essentiellement l’Ayahuasca (Banisteriopsis caapi) et le Piripiri (cyperus sp.), appelé Waste en Shipibo. La liane de l’ayahuasca est identifiée avec l’Anaconda cosmique (Ronin), car la peau de ce serpent serait la source de tous les dessins. De même, le Piripiri est la manifestation de l’anaconda car il est dit que cette plante est née de ses cendres. Le rituel consiste à verser une goutte de ce Piripiri dans les yeux et le nombril des petites filles pour aiguiser leur vue, leur donner la capacité de concevoir les dessins des tissus dans leurs songes ou dans leur imagination et leur procurer la dextérité pour tracer les kene.

Différentes formes d’art avec une composante symbolique et vibratoire très forte 

Les Shipibos représentent ces dessins aussi bien sur la peau, sur des tissus que sur des poteries. Pour la peau, ils utilisent le jus du fruit du Huito dont les teintes varient du noir au gris bleu. Pour les toiles, ils se servent de terre foncée ou claire et de couleurs extraites d’écorces d’arbre ou de plantes comme l’acajou pour le marron. Pour les poteries, ils utilisent traditionnellement divers pigments naturels. Aujourd’hui, ils ont aussi recours à certaines encres trouvées dans le commerce.
Une autre façon de dessiner ces Kene est la broderie, en plein essor à l’heure actuelle, compte tenu de la grande variété de fils de couleur vendus dans les merceries. 

Tous ces dessins se font à main levée, en utilisant un pliage du tissu, sans esquisse préalable. Chaque dessin est unique.

Les caractéristiques de ces kene sont la symétrie, qui symbolise l’intemporalité : le dessin a commencé sur un point invisible de l’espace, avant d’entrer dans le cadre et finira au-delà de la limite du tissu. La symétrie est synonyme d’équilibre, en occupant l’espace dans les quatre directions cardinales (nord / sud / est / ouest) de manière totalement équitable.

 

Les contours ont la fonction d’une ossature sur laquelle repose toute l’architecture de du dessin.

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L’épaisseur du trait, permet de faire ressortir un va et vient visuel imperceptible entre la forme et la vibration qu’elle dégage.

 

Le remplissage des vides laissés par le dessin augmente cet aspect vibratoire.

Le rythme de ces motifs déterminera l’utilisation du tissu ou de la poterie. Par exemple, les poteries réussies sont décorées selon un dessin qui soulignera leur forme, circulaire pour un bol, en s’évasant pour une cruche, ou en suggérant son caractère anthropomorphique.

Il est probable que les dessins des tissus reprennent les peintures corporelles traditionnelles utilisées avant l’arrivée des missionnaires. La fonction du vêtement a été introduite par ceux-ci et les femmes en ont fait une parure et un signe fort de leur identité.

Ces tissus étaient traditionnellement utilisés dans les vêtements des femmes (jupes essentiellement) mais aussi dans les vêtements des hommes appelés kushma, ainsi que dans leurs coiffures (bandeaux ornés aussi de plumes).
Par extension, ces dessins sont présents dans les parures telles que les bracelets tissés en perle.

Le Kene est un art vivant et changeant. Selon la mode, le dessin évolue : autrefois, les tracés étaient rectilignes, dits « canóa », puis les courbes ont fait leur apparition, dites « mayá », puis les dessins du « vero yoshin » (l’esprit de l’œil) en lignes courbes organisées autour d’une croix centrale. Actuellement, on assiste à une figuration plus grande de la nature, plantes, animaux, etc

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Dans les poteries, il est fréquent que le dessin soit associé à la représentation des «quatre mondes» qui les entourent : le monde de l’eau, celui des humains et des esprits de la forêt, le monde des morts et celui de l’espoir et de l’éternité. Ce qui implique les différentes séparations qui suivent les contours de la poterie.

Selon Luisa Elvira Belaunde*, la clef de ces dessins réside dans l’association de ces graphismes avec le concept de « chemin » (cano). Il y a des chemins dans tous les aspects du vivant, du plus petit au plus large :

 

  • À l’échelle astronomique, les kene représentent la voie lactée,

  • À l’échelle géographique, les voies fluviales qui serpentent dans la forêt,

  • À l’échelle anthropomorphique, les ornements qui embellissent et complètent le corps humain,

  • À l’échelle de la flore, ils reproduisent le tracé de la sève et le pouvoir des plantes,

  • À l’échelle de la spiritualité, ils sont associés aux chemins qui unissent les vivants aux morts.

 

*Kene, arte ciencia y tradición en diseño. (Instituto Nacional de Cultura) 2009

(Kene, art science et tradition en dessin)

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